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Du piratage

mercredi 3 octobre 2007

Depuis dix ans, les producteurs et les sociétés d’auteurs se plaignent du partage fichiers par internet qui bafouerait intrinsèquement le droit d’auteur.
Depuis bientôt autant, les internautes se plaignent des restrictions qui leur sont imposées au nom du droit d’auteur.

Débat sans fin, et à ce jour sans solution. On peut toujours trouver des arguments, dans un sens ou dans l’autre. Par exemple, la pertinence de la redevance sur la copie privée pour la carte mémoire d’un appareil photo, perçue au motif que cette carte pourrait être utilisée pour un baladeur numérique, n’est pas évidente. D’un autre côté, mettre toute sa vidéothèque en libre service en ligne est incontestablement illégal.

La semaine dernière, le groupe Radiohead, qui jouit d’une notoriété et d’un succès artistique et commercial certains, a pris l’initiative de proposer son dernier album en téléchargement en contre partie d’une donation libre – éventuellement nulle. [1]
A noter également : le label 4AD, un peu plus underground qu’EMI mais avec un joli catalogue tout de même, propose depuis cette année la possibilité de télécharger légalement trois fois ses albums en mp3 grâce à un code inséré dans les pochettes de ses albums "physiques". Implicitement, en admettant que chaque acheteur fasse "don" autour de lui de deux téléchargements, cela signifie que le modèle économique "un vendu, deux copiés" est parfaitement acceptable pour eux.
Hier, la SCPF [2] s’est émue du développement du service communautaire de partage de fichiers proposée gratuitement par le fournisseur d’accès internet Free, l’accusant d’inciter au piratage. [3] Enfin, "émue" n’est pas le bon terme ; elle a plutôt traité Free de ramassis de criminels.
Sur ce front, la position de la SCPF n’est pas partagée par tous, comme l’ADAMI [4] qui milite depuis longtemps pour une licence globale, plus exactement une redevance sur les abonnements internet comparable à la redevance audiovisuelle et en adéquation avec ce type d’offre.

Personnellement j’ai une consommation culturelle assez atypique, et je ne prétends pas saisir mieux qu’un autre toute l’étendue du problème, et encore moins avoir de solution. Je voudrais juste ici rappeler quelques points qui me paraissent importants.

Petit détail historique pour commencer : le problème de la copie privée a été soulevé à la fin des années 70 et a aboutit, en France, à une redevance sur les supports d’enregistrement – à l’époque, cassettes audio et vidéo. Cette redevance existe depuis 1985. Qu’on nous épargne donc les grands cris sur une prétendue "nouvelle" taxe.

Par ailleurs, selon les sociétés d’auteurs, interprètes et producteurs, les droits d’auteurs, dans leur interprétation [5], sont une évidence universellement reconnue.
Or d’un pays à l’autre, la notion de droit d’auteur varie énormément. En France, elle est peu ou prou figée depuis 1957. En Calédonie, ça n’est que depuis 2006 qu’une entité comparable à la SACEM existe, pour rémunérer les ayants-droits pour les rediffusions télé et radio. En Grande-Bretagne, il n’y a aucun droit reconnu à la copie privée, pas même en terme d’exception au droit d’auteur comme en France.
Tout ça pour dire que le concept de droit d’auteur n’est pas figé, et qu’il est tout à fait logique de le faire évoluer en même temps que les façons de créer, de diffuser, et de jouir des biens culturels. Quoiqu’on fasse aujourd’hui, ça ne peut être qu’une mesure à court terme. Tant que les maisons d’édition refuseront toute réflexion sur l’avenir de la Culture (comprendre : tant qu’un gouvernement ne les y forcera pas) on restera embourbés. [6]

Enfin une remarque d’ordre plus général : les gens sont devenus des consommateurs de culture – à opposer au terme "jouir" utilisé ci-avant. Ca n’est pas anodin. Des consommateurs boulimiques même. La révolution des communications y a certes grandement contribué. Mais qui a nourri cette boulimie ? Est-ce que les producteurs et les distributeurs, avec leur marketing effréné vantant le gratuit, l’illimité, l’immédiat à tout va, ne se sont pas un peu foutu dans la merde tout seuls des fois ? A vouloir le beurre, l’argent du beurre et le cul de la crémière, on se retrouve avec la baratte dans le cul ; et malgré le beurre, ça fait mal. [7]
Le très intéressant (et très étouffé) rapport Cédras remis au Ministère de la Culture en avril dernier concluait à l’impossibilité de lutter, techniquement comme juridiquement, contre le piratage et prônait pour une approche à long terme, préventive, éduquant les citoyens et proposant une offre de téléchargement légale et de qualité.
Evidemment, éduquer, c’est compliqué, long, et sans garantie de résultat visible et quantifiable. En plus les gens risqueraient de devenir intelligents et de bon goût et de réclamer autre chose que du Mika. [8]

Notes

[1] je fais d’ailleurs le pari que ça va être un flop commercial pour RH, je suppose qu’ils ont avancé sur leurs deniers propres un montant forfaitaire à leur éditeur EMI pour la mise en ligne de l’album et je pense qu’ils ne rentreront pas dans leurs frais…

[2] Société civile des producteurs phonographiques.

[3] cette offre n’a par ailleurs rien d’exclusif à Free, les autres FAI en font autant.

[4] Société civile pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes

[5] interprétation elle-même variable suivant qu’on est gros ou petit producteur, auteur indépendant ou en servage.

[6] et je ne compte pas trop sur Albanel pour faire avancer les choses, son cursus n’incite guère à l’optimisme ; d’ailleurs marier communication et Culture sous le même secrétariat…

[7] il y a d’ailleurs des dommages collatéraux : le développement des logiciels libres (libre n’étant pas synonyme de gratuit) est sérieusement bridé par le fait que les gens ont rarement le réflexe de donner pour un logiciel, si utile soit-il ; et c’est pour la même raison que la démarche de Radiohead sera un flop. Je souhaite de tout cœur me tromper.

[8] que celui qui a choisi cette… chose pour la campagne de pub de l’iPod touch soit foulé aux pieds en place publique ; et tant pis si c’est Jobs !

4 Messages de forum

  • Petite correction sans importance

    4 octobre 2007 09:44, par chat d’oc
    Radiohead n’étant plus chez EMI (pas de maison de disque à l’heure actuelle), ils ne leur auront certainement pas avancer de sous...
    • Petite correction sans importance 4 octobre 2007 10:55, par 2 2
      Mika, c’est très sympa. Un peu trop entendu ces derniers temps, mais y a franchement pire. Après, c’est sûr que je parle à quelqu’un qui aime Sonic Youth...
    • Petite correction sans importance 4 octobre 2007 13:55, par Iyhel Mnemeltarma

      Amusant.
      Bon accessoirement tout l’album n’est pas dispo au téléchargement non plus.

      Je pense quand même qu’ils vont se bananer, mais j’attends avec curiosité. Si entre les dons par internet et les commandes directes ils s’en sortent, c’est la fin des majors. Mais ce qui marche pour Constellation ne marchera pas forcément pour eux...
      Et puis j’attends de voir le tarif des places de concert. Parce que s’il faut payer 60€ en contre-partie, ça m’intéresse moyen.


      Pour Mika... je n’écoute pas la radio, donc je suis globalement épargné ; je l’avais entendu y’a six mois en Calédonie, et douté dès la première écoute. M’enfin je fais pas une fixation hein, dans six mois on n’en parlera plus. Et c’est moins pire que Crazy Frog en boucle dans les boîtes caldoches.
      Quant au train de tes provocations, il roule sur les rails de mon indifférence. :p

      • Petite correction sans importance 4 octobre 2007 14:18, par 2 2

        En même temps, c’est pas bien nouveau que les musiciens font leur beurre sur les places de concert, hein. Quand les Beatles (encore un de tes groupes fétiches) ont annoncé qu’ils arrêtaient de faire des concerts (leur miserables Vox ne couvrant pas les hurlements des stades dans lesquels ils se produisaient), leur agent, leur maison de disque se sont étranglés : c’était une monstrueuse manne financière qui disparaissaient. Cela dit rassurez-vous, leurs albums se vendent encore aujourd’hui à 23 euros, alors qu’en 40 ans, on aurait pu espérer que leur prix diminue...

        Concernant ta dernière réplique, si on me demandait quel est le pire drame de notre siècle, de l’indifférence et de l’ignorance, je répondrais que je sais pas, et que je m’en fous.

        On est d’accord, ça n’a qu’un rapport lointain, voire hasardeux, mais ça me fait rire.


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