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Rétention : abolition !

jeudi 27 mars 2008

Jeudi dernier, j’étais donc à la Soirée des Libertés Publiques, organisée par le Syndicat de la Magistrature et dont le thème était la loi sur la rétention de sûreté.
À Paris, ça se passait à la Bourse du Travail vers République, il y avait entre deux et trois cents personnes ; j’y ai retrouvé Thib qui fait du hockey avec moi et aussi Flopy [1] et puis aussi des camarades de PRS.

La soirée fut animée par Mmes Franco et Desbruyères, respectivement juge pour enfants et conseillère insertion probation, qui commencèrent par rappeler l’historique de l’initiative.
La première intervenante fut la secrétaire générale des Verts qui retraça dans les grandes lignes les arguments contre cette loi, dont celui-ci, nouveau pour moi : la loi Dati s’inspire des propositions d’un rapport, dit rapport Burgelin, et se fonde sur la notion de dangerosité  ; cette dangerosité est établie par des psychiatres, lesquels, et le rapport Burgelin reprend ce chiffre, évaluent entre 60 et 80% le nombre de faux positifs. Traduction : en appliquant la rétention de sûreté, sur quatre détenus qu’on gardera enfermés, trois n’auraient pas présenté de risque de récidive !

Puis nous avons eu droit à la projection, en avant-première, du film Réfutations III - Rétention de sûreté : une peine infinie de Thomas Lacoste ; ce documentaire d’un peu plus d’une heure alterne entretiens, extraits de Minority report [2], rappels de textes législatifs et constitutionnels et citations de politiques ; il a été réalisé en deux mois, spécifiquement du fait de la proposition de loi.
Thomas Lacoste dresse notamment un bilan de l’évolution judiciaire en France depuis 2002, avec les lois Perben, Sarkozy, etc. pour aboutir à la plus scélérate d’entre toutes, la loi sur la rétention de sûreté.
Interviennent tour à tour la présidente du SM, également juge d’application des peines, le premier bâtonnier de Paris, un expert en psychiatrie, une surveillante pénitentiaire déléguée syndicale, Mme Desbruyères déjà présentée, le délégué français de l’Observatoire International de la Prison, un philosophe, un autre JAP.

Parmi les arguments évoqués, j’ai retenu ceux-ci :
- les psychiatres sont assez viscéralement opposés à une loi qui leur demande d’établir non plus un diagnostic (définir de quels déséquilibres souffre un détenu, et comment essayer de le soigner) mais un pronostic - de dangerosité
- le rapporteur UMP M. Garraud admet lui-même la subjectivité profonde et l’indétermination de ladite dangerosité
- les conseillers d’insertion et de probation, dont le rôle est d’accompagner les détenus vers un retour à la vie en société en déterminant ensemble les mesures, éventuellement psychiatriques ou médicales à mettre œuvre, dénoncent, de même que le personnel surveillant, le fait que le détenu sera désormais dans l’impossibilité d’avoir une attitude constructive puisqu’il n’aura plus de certitude quand à sa date de sortie [3] ; la peine initiale, qui avait pour objectif, par la lourdeur de la sanction et par l’accompagnement qui était mis en place, d’éviter la récidive devient une sanction gratuite : l’éventuelle réinsertion est reportée aux calendes grecques
- tout le monde s’insurge également sur la fin du secret médical en prison, ce qui ne va pas non plus faciliter la tâche des personnels, soignants ou non
- regret généralisé, de même, que les moyens n’aient pas été mis en œuvre pour appliquer efficacement la loi Guigou de 1998 sur le suivi socio-judiciaire : la droite a prétexté de l’absence de soins pendant la peine de détention pour justifier de la rétention de sûreté, alors qu’elle n’a jamais alloué les budgets nécessaires à la mise en place de ces soins ! [4]
- le parallèle entre Guantanamo, zone de non-droit pour les conflits extérieurs, et les centres de rétention, futures zones de non-droit à usage intérieur...

Le film retranscrit également l’appel de Clairveaux : sept détenus condamnés à perpétuité qui demandent le rétablissement de la peine de mort compte tenu des conditions exécrables qui sont les leurs actuellement - conditions qu’on imagine difficilement meilleures dans les centres de rétention, et avec les peines de quinze ans et plus qui vont maintenant s’apparenter à une perpétuité déguisée...

Petit regret : on sent que le fim a été fait dans l’urgence, il est donc un peu "trop" partisan et pourrait passer pour démagogique - idéalement on aurait aimé y trouver un témoignage comme celui du président de la Voix de l’Enfant (voir plus bas).

Petite pause clope-bouffe et on reprend, avec une intervention de Philipe Torreton - dont je n’ai pas suivi le contenu, je finissais mon sandwich...

Puis est monté à la tribune le président de l’association La voix de l’enfant, qu’on peut difficilement soupçonner de mansuétude à l’égard des pédophiles, et qui est accessoirement psychiatre spécialisé dans le traitement des délinquants sexuels et plus précisément fait autorité en matière de ce qu’on appelle abusivement la castration chimique. Pour lui aussi, la rétention est une aberration, de part ce qu’elle enterre définitivement la loi Guigou, et encore parce que pour lui, le traitement, commencé pendant la détention, doit être poursuivi à la sortie en milieu ouvert et totalement libre sans quoi il ne peut y avoir ni guérison ni aucun effet contre la récidive.
Là, y’a quand même de quoi en remontrer un peu aux crétins qui nous gouvernent qui jouaient les démagogues à coups de "si vous êtes contre la rétention, vous êtes du côté des violeurs ; nous, nous sommes avec les victimes"...

Suivirent, histoire de rappeler que la prison en soi c’est déjà pas drôle, la lecture d’une demi-douzaine de textes écrits par des détenus, intenses, par la voix de deux comédiens.

Puis des interventions de Mme Borvo, sénatrice communiste, qui nous rappela que si la loi sur la rétention était passée, il restait d’ici la fin de l’année la loi pénitentiaire sur laquelle il faudrait être vigilants ; ainsi que la fermeture dès cette année de l’hôpital carcéral de Fresnes, transformé en centre de rétention de sûreté alors même que le Conseil Constitutionnel ayant invalidé la rétroactivité de la loi, aucun détenu ne sera théoriquement concerné avant quinze ans : traduction, à la première occasion le gouvernement tentera une révision de la Constitution pour contourner le problème de la rétroactivité !
De M. Blisko, député socialiste, qui précisa que les rétentions de sûreté existant en Allemagne ou aux Pays-Bas ne venaient pas en complément mais en subsitution de la peine, et n’avaient donc rien de comparable avec le dispositif Dati.
De M. Blanc, président de cour d’assise et président de l’Association Française de Criminologie, qui craint une inflation des durées de peines prononcées, les juges risquant de chercher à se couvrir en condamnant systématiquement à au moins quinze ans - sachant qu’en vingt ans, la durée moyenne des peines de prison à été multipliée par deux, sans effet notoire sur le taux de criminalité...
De M. Katz, de la Ligue des Droits de l’Homme, qui a souligné les relents douteux de cette loi "d’hygiène sociale" - on sait où ça commence, on ne sait pas où ça finit [5] ; évoqué le pourvoi en cours auprès de la CEDH ; et raillé l’hypocrisie de ceux qui prétendent défendre les victimes tout en réduisant (projet de loi en cours !) le délai de prescription de 30 à 5 ans dans les procédures civiles !
De Mme Leclere, de la LCR, qui relève la volonté d’une part de stigmatiser certaines catégories de population pendant qu’on dépénalise le droit des affaires.
Et enfin de M. Leborgne, représentant les avocats pénalistes de France, qui s’inquiète de la démonétisation et la défiance de la justice induites par la loi [6] et trouve paradoxal qu’on juge un jour une personne responsable pour quinze ans plus tard l’interner comme élément dangereux et incontrôlable, donc pénalement irresponsable... [7]

Enfin a été lu l’appel à l’abolition qui suit, avec soutien de la CGT pénitentiaire et mot de la fin pour le président du Génépi.

Appel à l’initiative du collectif contre la rétention de sûreté : La rétention de sûreté doit être abolie !

Malgré l’opposition de très nombreux professionnels et citoyens, la loi instaurant une « rétention de sûreté » qui permet, après l’exécution de la peine de prison, de prolonger - sans limitation de durée et sans infraction - l’enfermement des personnes considérées comme d’une « particulière dangerosité » est entrée en vigueur.

La mise en place d’un tel dispositif relève d’une philosophie de l’enfermement qui refuse à l’homme toute faculté d’amendement.

La présomption d’innocence devient secondaire et la justice de sûreté prend le pas sur la justice de responsabilité.

NOUS NE POUVONS ACCEPTER UN TEL MODÈLE DE SOCIÉTÉ :

- parce que la rétention de sûreté, comparable dans sa philosophie à la peine de mort, est une peine d’élimination préventive susceptible de graves dérives ;

- parce que la rétention de sûreté ajoute de l’enfermement à la peine de prison, déjà anormalement longue en France au regard des standards européens, et constitue en conséquence un traitement inhumain et dégradant ;

- parce que la rétention de sûreté implique un pronostic arbitraire de la « dangerosité », dont les contours ne peuvent être clairement définis, ni par les psychiatres, ni par les juristes ;

- parce que la rétention de sûreté crée l’illusion du « risque zéro » de récidive par l’exploitation démagogique de la douleur des victimes ;

- parce que la rétention de sûreté témoigne du renoncement des pouvoirs publics à faire de la prison un temps utile à la prévention de la récidive et à la réinsertion ;

- parce que la rétention de sûreté, malgré l’accomplissement de la peine, n’autorise plus l’oubli du crime, réduisant ainsi la personne à son acte criminel passé avec le risque de l’y enfermer à jamais ;

- parce que la rétention de sûreté est une violence institutionnelle inacceptable qui prive les détenus de tout espoir de liberté ;

Pour toutes ces raisons, la rétention de sûreté n’est en aucun cas un instrument de prévention de la récidive et de protection des victimes.

Nous appelons tous les professionnels concernés à la résistance contre cette nouvelle disposition répressive, emblématique d’une régression majeure de nos principes.

Nous appelons à la mobilisation pour l’abolition de la rétention de sûreté, véritable honte pour la France.

Pour signer cet appel : rendez-vous sur le site du collectif contre la rétention de sûreté

Voilà, à vous de jouer maintenant !


Je prie tous les gens dont j’ai oublié ou torturé le nom, et quelque peu simplifié le discours, de bien vouloir m’en excuser...

Voir en ligne : Collectif contre la rétention de sûreté

Notes

[1] chez qui vous trouvererez d’ailleurs un extrait du film qui était projeté en avant-première ce soir-là...

[2] le film de Spielberg où l’on incarcère les meurtriers avant qu’ils ne commettent leur crime...

[3] rappelons que la rétention de sûreté ne concerne pour l’instant que les peines supérieures à quinze ans ; quinze, ans, c’est déjà long, très long...

[4] qui sont donc prévus par la loi Guigou, laquelle prévoit également un prolongement de peine de 2 à 5 ans pour les détenus qui auraient refusé les soins... encore un mensonge de la droite qui disait qu’un détenu non soigné était gratuitement relâché dans la nature... je pense que quelqu’un qui croit qu’on peut avoir envie de passer cinq ans de plus en prison pour se soustraire à un traitement n’a vraiment aucune idée de ce qu’est la prison...

[5] dans la série commence-finit, fait divers amusant il y a six mois : deux enfants qui ont manqué d’être fichés génétiquement sur le fichier initialement destinés aux pédophiles initié sous Jospin, qui a été légèrement élargi à tout et n’importe quoi par Perben...

[6] aux yeux des "victimes", les sanctions prononcées jusqu’ici auront toujours été insuffisantes puisqu’on les étend potentiellement aujourd’hui à la perpétuité !

[7] sauf admettre, comme il le suggère en riant jaune, que les conditions carcérales françaises ont effectivement de quoi rendre fou !

2 Messages de forum

  • Rétention : abolition !

    28 mars 2008 09:44, par Flo Py

    Il est très bien, ton compte-rendu. Je vais le lientiser, tiens. Bises et bonne journée.

    PS : le président de La voix de l’enfant s’appelle Bernard Cordier.

  • Rétention : abolition !

    2 avril 2008 10:24, par fleximus
    Merci pour ce très bon compte-rendu (et bravo pour les facilités de navigation avec les notes de bas de page...).

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